Désoeuvrement

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Photo E.S.

C'est dans un hall de gare qu'on est le mieux pour écrire le sentiment de foisonnement, de frénésie froide de la ville qui "ne dort jamais" (encore une...). Si elle ne dort effectivement pas, ses habitants pourtant semblent figés dans un dignité cireuse proche de l'assoupissement. Regard dur et désintéressé du moindre évènement extérieur générateur de changement dans la conception régulée et réfrigérée qu'ils semblent entretenir de ce qui les entoure. Ce n'est pas qu'ils fussent froids ou hautains ; simplement, tout semble reposer sur un système abstrait de règles rassurantes par leur existence, indépendamment de leur contenu souvent arbitraire. Ces règles déchargent le citoyen de toute justification, de toute tentative d'élévation à une condition moins abrutie. La profusion de ces rigueurs étatiques paraissent imposer au citadin un regard las, dénué de tension vers un lendemain épanoui.

Les postes à haut potentiel d'ennui fleurissent alors le long de tout édifice ou centre supposé d'intérêt. Il s'agit de surveiller le haut d'un escalier automatique sans céder aux paupières plombées, de suppléer au portails automatiques d'accès, peu efficaces, en jetant un regard vague sur la zone, regard sensé dissuader les resquilleurs, ou encore d'assurer la sécurité d'un hall vide en guidant l'hypothétique visiteur à traversun détecteur de métaux inopérant.

C'est bien l'occupation du poste qui importe, plutôt que ce qui s'y fait, l'effet étant au mieux nul. Car il ne s'agit plus de produire, mais de répondre avec passivité aux injonctions d'un état engoncé dans les brillances d'un empire éteint. Peut-être cette "âme russe", mélange de mélancolie digne et de pessimisme bureaucratique, est-elle le produit de la résignation, peut-être son bonheur n'est-il pas dans l'espoir mais dans la conviction puissante qu’aujourd’hui vaut mieux que demain.

Pendant ce temps, le flot de passagers défile devant l'employée au regard vide : y brille seulement la conviction de participer humblement à la bonne marche d'une société qui doit nécessairement savoir où elle va tant ses acteurs en sont ignorants.