Frontières
Par Schield Edmond le lundi 10 octobre 2011, 10:49 - Lien permanent
Photo E.S.
L'homme éprouve un besoin naturel de se protéger en portionnant le territoire alentour, en le délimitant et en le cloisonnant par l'usage de murs, de frontières et autres barrières plus ou moins symboliques, plus ou moins matérialisées. Ces cloisons sont le fruit d'un jeu permanent de tensions entre plusieurs pôles identitaires cherchant à se distinguer moins par leurs qualités intrinsèques que par l'activation permanente d'un sentiment réciproque d'extériorité.
La frontière est cependant toujours profondément ambiguë. Si elle cherche à séparer ce qui est connu de ce qui n'a pas à l'être, elle invite surtout, par son existence, à être franchie. Elle est aussi salutaire car possède le pouvoir de définir.
Pourtant, franchie, l'extérieur devient intérieur et invite à substituer à la crainte fascinante de l'inconnu une connaissance réaliste d'un ailleurs payant aussi son dû au temps présent.
Mais ce combat constant pour le droit à l'horizon prend, à une échelle importante, une tournure bien plus sournoise qu'une simple palissade de bois plantée au fond du jardin. Car il ne s'agit pas seulement, en guise de frontière, d'élever un mur - un mur est toujours franchissable car il demande à l'être - mais bien d'élever un sentiment de frontière, bien plus étrange et repoussant.
Si rien ne sépare alors physiquement un espace défini d'un autre, c'est bien les interminables heures d'attentes inexpliquables, le rigorisme malsain d'un officiel à l'uniforme trop fièrement porté, l'attention presque obsédée portée à un livret cartonné et les regards suspicieux et durs qui forment les éléments constitutifs de la frontière réduite à l'état de symbole.
Les symboles sont puissants, mais ils dépendent de la croyance en leur capacité de se substituer au réel. Traverser, et voir les mêmes hommes vibrer des mêmes angoisses, pleurer des mêmes joies réduit cette croyance à une superstition vague.
Bien sûr, l'identité diffère, mais c'est la barre rocheuse, le lac profond ou le vent nouveau qui marque le changement naturel. Les frontières sont nécessaires uniquement par la possibilité qu'elles offrent d'être transcendées. N'affadissons pas ce bien immense en murant l'esprit par la force d'un symbole inamovible.