Flots

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Photo E.S.

Comme la goutte se dilue dans la mer, l'espace intime de l'habitat s'ouvre en fait sur la rue bourdonnante et se fond à sa vibration collective. Ces portions d'existence individuelles offertes aux grands flots urbains leur confèrent une saveur puissante et une énergie violente.

Cependant, l'envergure du tout ne se laisse goûter que comme accumulation hasardeuse de ses parties.

Ce n'est pas la rue qui crie; c'est le timbre perçant des vendeuses à la coiffe conique éveillant le piallement de dizaines d'oiselets encagés, eux-mêmes submergés par le vrombissement incessant des essaims motorisés.
Ce n'est pas la rue dont l'odeur force à humer; ce sont les fumets délicats et insistants que répandent les cuisines multicolores répandues sur le sol, ponctués parfois des sensations fuyantes que la vue de fruits inconnus suggère aux papilles inconscientes.
Ce n'est pas la rue qui ondoie et qui vibre; ce sont les bras levés à l'infini, les sourires rapides et ronds, les têtes tournées et les talons claqués, savamment orchestrés en une pulsation haletante et cyclique.

La rue n'existe pas. Point de convention ni de marcage organisant les directions. C'est un espace convergeant, c'est une artère vitale où les flux cohabitent avec un naturel déconcertant.

Ces élans collectifs pourtant ne réduisent pas l'individu, bien que délesté de son intime, à un simple élément constitutif. La conscience de faire partie du tout garantit sa cohésion et permet le détachement.

La mer sera mer tant que des gouttes pourront s'y supposer.